Extase et expansion de l’instant
Note sur les oeuvres récentes de Lee Hiechun
Relation infinies
On a pu s’apercevoir en regardant les œuvres qui nous sont parvenues des diverses traditions picturales, orientales comme occidentales, que la peinture avait pour tâche essentielle de mettre en scène notre relation aux paysages et aux objets et ainsi de décrire les manières que pouvaient inventer les hommes de s’intégrer au monde qui les accueille.
Mais il y a aussi ce que l’on se raconte en amont de la toile, cela vaut pour le peintre, et ce que l’on se raconte en aval, cela vaut pour les spectateurs. Ces mots et ces idées qui prennent tous leur source dans des sensations inexprimables, participent activement à la conception et à la création. Ainsi devenons-nous accepter de comprendre qu’une oeuvre picturale se crée aussi à la croisée d’images et de mots.
Il ne s’agit donc jamais de « copier » ce qui est devant nos yeux mais de tenter, c’est ce qui fait la singularité de chaque artiste, de faire exister sur la toile une version jusqu’à ce jour inconnue de ces relations infinies qui se tissent, à travers les choses et les êtres vivants, entre mots et images, en vue de partager nos si intenses, si fragiles, si fugitives, mais si extraordinaires sensations.
Sensation et vision
Lee Hiechun est un artiste qui a d’emblée compris que l’enjeu fondamental de la peinture se situait à l’articulation entre sensation et vision, entre instant insaisissable et intégration des éléments dans l’immensité de la toile. Chaque tableau, il le sait, est une découpe dans le rouleau de l’infini et chaque instant englobe la totalité du vécu, y compris de la vie qui est à venir. Peindre, c’est trouver la voie sublime qui permet d’intégrer l’un à l’autre, l’infini de l’espace dans l’immensité du temps suspendu et l’extase vécue de l’instant à travers l’emboitement des couleurs et des formes.
Mais si peindre c’est donner corps à des visions, on ne peut pas peindre directement des idées. Elles doivent trouver à s’incarner dans des objets, des corps, des fleurs, des animaux, des dessins apparemment abstraits qui forment comme la grille mentale dans laquelle vont venir se prendre les visions. Elles doivent parvenir à se fondre dans les gestes du peintre, dans les traces du couteau dont il se sert souvent pour construire ses assemblages de masses colorées comme dans les intervalles qui permettent de relier homme et fleurs, animal et souffle de vie, oiseau et ciel, corps et terre.
La danse de l’instant
La puissance de l’oeuvre de Lee Hiechun tient à ce qu’il sait à la fois construire ses visions, mêler de façon harmonieuse couleurs et fleurs, animaux ou humains, au point qu’il semble toujours qu’on les perçoit comme figés alors qu’ensemble, ils dansent. C’est une danse lente, très lente que nous voyons sur ces toiles, une danse particulière puisqu’elle vise à nous faire ressentir ce que c’est que d’appartenir au monde. Plus exactement, ces tableaux mettent en scène l’attraction qu’éprouve littéralement chaque être vivant pour les autres êtres qui l’entourent, fleurs et animaux en particulier.
Rien d’anecdotique ici. Bien au contraire. En ayant su identifier pour lui-même l’instant comme forme de l’extase, Lee Hiechun est venu se joindre à la chaîne humaine des penseurs, des poètes et des artistes qui, comme lui ont su exalter cet instant et en faire le coeur de leur oeuvre qu’elle soit philosophique, poétique ou picturale.
Au plus près, dans l’éternité
Car c’est bien là que se tient Lee Hiechun, comme homme et comme peintre, au plus près de ce qui, de la sensation, remonte en chacun jusqu’à y exploser telle une fleur qui s’ouvre. Ainsi, chaque geste du peintre est à percevoir comme la lente progression qui permet de passer de la sensation au coeur, du coeur à l’esprit et de l’esprit à la vision construite, celle qui unira le peintre à ceux qui regardent ses oeuvres.
Dans ses oeuvres, pas d’histoire, pas d’anecdote, mais bien la manifestation de ce qui, en l’homme, le transporte, au sens le plus littéral, au-delà de lui-même et lui permet de rejoindre son rêve millénaire, exister non pas éternellement mais dans l’éternité. Et Lee Hiechun le sait, l’éternité c’est l’immensité modulable de l’instant. Chacune de ses oeuvres est une tentative de rendre compte de cette extase à la fois violente et douce et qui, du sens profond de la vie, est la plus puissante manifestation.
Et, soudain, on comprend que Lee Hiechun peint pour permettre à chacun en regardant ses toiles, de faire l’expérience de cet instant extatique par lequel nous éprouvons, tous, que cette éternité de l’instant est la véritable voie qui nous permet de vivre harmonieusement notre appartenance au monde.
04-09-23
Jean-Louis Poitevin
Écrivain, critique d’art, membre de l’AICA