Exp-Les pèlerins

« Les Pèlerins »

Lucie Antoinette
Damien Bockenmeyer
Eric Bottero
Simon Diebold
Eudes Menichetti
Lucas Ngo

Vernissage le jeudi 12 octobre
de 18 heures à 21 heures
Exposition jusqu’au samedi 18 novembre 2023

Eric Bottero ;  » Synapses « , photographie argentique, tirage gélatine sur feuille d’or, 120 cm x 60 cm, 2020

Quand j’ai découvert les photographies d’Eric Bottero, ces forêts prises en noir et blanc, converties en négatif, et tirées sur de la feuille d’or, j’ai tout de suite pensé à ma dernière nuit sous LSD. J’étais assis à côté de ma fenêtre, et dehors, dans les heures les plus tardives, seule une lampe de mes voisins était allumée. Sa couleur dorée s’est mise à envahir toute ma vision et cette hallucination imposait avec mon entourage le même lien chaleureux, mais aussi la même distance, presque mystique, que devant ces photographies. Ces dernières s’appellent « Synapses », c’est-à-dire qu’elles sont un point de jonction, entre la grouillante vie peuplant chaque recoin d’une forêt, et notre appropriation figée dans la feuille d’or.

Il m’a semblé, dans le même registre, que je me devais d’organiser cette
exposition selon mon appropriation personnelle, mes propres souvenirs.

Simon Diebold :  » Symbiose »
Mixed media
85 x 62 cm, 2023
Lucas Ngo :  » Pieuvre blanche  »
huile sur papier
65 x 50 cm, 2022
Damien Bockenmyer : sans titre
encre blanche et noire sur papier
29,7 x 42 cm, 2023
Lucie Antoinette :  » Overflowering night  »
huile, tempera et acrylique sur toile
130 x 97 cm, 2023
Eudes Menichetti :  » Saint Sébastien  »
résine polyuréthane, patine,
feuille d’or blanc sur châssis noir,
160 x 121 cm, 2018

J’ai rencontré en même temps le photographe Simon Diebold, parmi les finalistes du Prix Picto de la mode 2023. Il a pris en photo deux sœurs jumelles pour une série qu’il nomme « Individualité ». La déformation des visages s’opère dans une première prise à l’argentique, puis par quelques retouches numériques, qu’il imprime puis reprend en photo à l’argentique une fois confrontées à des miroirs déformants. Je me disais face à ces sœurs qu’elles pouvaient être des esprits habitant la forêt. Des grecs aux hindous en passant par les amérindiens ou les nordiques, les jumeaux font partie des thèmes universels des mythologies. Cela s’explique par le jeu dialectique entre complétude et dualité qu’ils peuvent suggérer dans nos imaginaires, l’autre comme vision de soi, miroir de projections proches du délire.

J’ai par la suite recherché un artiste proposant pour l’exposition ce qui aurait trait aux visiteurs de ces sanctuaires et de leurs divinités ; nous appellerons ces visiteurs « les pèlerins ». Ce sont les peintures à l’huile de Lucas Ngo. Mais au lieu de montrer leurs visages, j’ai préféré des pièces où les couleurs de leur corps se métamorphosent. Parler de l’importance de ce qui traverse les organes, se mouvant, devenant voyage. Entre leur sensualité et ce qu’ils évoquent des effets d’une prise de drogue, nous diront de leur expérience qu’elle est une prière. Une prière adressée à la lune, divaguant dans les rêves d’Endymnion –auquel la série de peinture d’Ngo rend hommage.

J’y ai ajouté les dessins de Damien Bockemneyer, à l’encre blanche sur papier noir, où les corps sont formés par des lignes, des fils d’Ariane poussant en tout sens, tissant une matière architecturale, conduisant leur labyrinthe jusqu’à flotter, hésitants, dans leur inachèvement. Mes hallucinations sous LSD étaient souvent en lignes, par où je sentais l’énergie circuler. Dans les corps de Bockenmeyer, cette énergie est végétale, semble transformer ses sujets en troncs d’arbre, en plantes, les inciter aux rhizomes. Cela m’était arrivé, une fois, de sentir, défoncé, des racines pousser sous mes pieds.

D’autres paysages se sont imposés : les peintures à l’huile, tempera et acrylique de Lucie Antoinette, oniriques et flottants, où s’effacent les frontières entre le songe aquatique et l’errance somnambulique dans la jungle. Je voulais que ces lieux, les étapes du pèlerinage, vivent le corps des pèlerins, leur succession, comme un pèlerinage en lui-même. Lui aussi peut se métamorphoser par la découverte de leur visite. Lucie Antoinette utilise d’ailleurs régulièrement les « glitchs » de ses photos pour composer certaines formes de ses paysages. Par exemple, une photo où le spectre de la lumière d’un lampadaire s’est mis à trembler est devenu, sur la toile, la forme d’un serpent. L’erreur, l’hallucination, comme outil créatif –en faire un théâtre.

Enfin, pour la dernière pièce, il me fallait un totem. Le Saint Sébastien d’Eudes Menichetti, réalisé en résine polyuréthane, patine, feuille d’or blanc sur châssis noir, serait le lieu de dévotion où nous voulons nous recueillir. Le corps meurtri du saint nous est offert, attaché au cactus, la tête tranchée mais surplombée d’un crâne trônant comme si c’était la mort souriante qui nous contemplait. La tige d’une branche pénètre dans sa jambe et semble absorber ce qui, de son martyre, peut la sustenter, nourrir le voyage, nourrir nos organes méditatifs, et faire danser les os de ses petits chambellans. L’un de mes amis les plus proches, avec qui j’avais pris du LSD la dernière fois, s’est suicidé la semaine suivante à cause d’un bad-trip. Je lui dédie cette exposition.

Hannibal Volkoff